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Visite hommage au Simon Duhamel II

2 avril 2023 – Sente aux matelots

Le Simon-Duhamel II

Page réalisée par le Service Archives-Patrimoine de la Ville de FécampElodie Manoury et David Duhamel

À l’occasion du 80ème anniversaire du naufrage du chalutier Simon Duhamel II, le service Archives et Patrimoine de la Ville de Fécamp, représenté par Elodie Manoury et David Duhamel, a organisé et animé l’hommage aux victimes et à leur famille (cf. ‘Actualités’ ici). Voici le dossier qu’ils ont réalisé à cette intention.

L’Association Des Terre-Neuvas remercie le Service Archives-Patrimoine – dirigé par Manuel Martin – de la soutenir sans relâche dans son devoir de mémoire, dont la présente contribution n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

Accueil

Quai Guy de Maupassant, au pied de la sente aux matelots

Nous proposons de vous relater cette histoire à 2 voix, à travers les archives retrouvées, les témoignages et documents recueillis auprès des familles. Au-delà des faits de cette tragédie, nous souhaitions vous en partager l’aspect humain, dont l’intensité est encore palpable aujourd’hui, pourtant si longtemps après le drame. Et quel autre site que celui de la sente aux matelots et la chapelle Notre-Dame Du Salut pourrait être plus approprié ?

Cette voie antique, devenue pendant plusieurs siècles le chemin de pèlerinage des marins fécampois, est le témoin de la grande histoire maritime de Fécamp et des dangers auxquels s’exposaient ces hommes qui, sauvés d’un péril, montraient leur reconnaissance à la Vierge, en gravissant nus-pieds ou sur les genoux ce chemin escarpé. La chapelle Notre-Dame-Du-Salut est à elle seule un emblème fécampois. Datant du XIè siècle, elle abrite une riche collection d’ex-votos, ces offrandes déposées par les marins qui prennent la forme de peintures ou maquettes de navire témoignant d’un naufrage. Seul lieu de recueillement pour les familles de disparus en mer, la chapelle est indissociable de l’histoire de la ville et est aujourd’hui chère aux fécampois. Malheureusement, depuis la tempête Eléanore de janvier 2018, son état s’est fortement détérioré et de lourds travaux sont nécessaires pour sa restauration (couverture, charpente, maçonnerie…). Preuve de cet attachement, une souscription a été lancée par l’association des anciens terre-neuvas pour aider au financement des frais de restauration.

En ce 2 avril, ce n’est pas du récit d’un sauvetage dont il sera question aujourd’hui, mais celui d’un naufrage longtemps laissé sous silence, presque disparu des mémoires mais dont l’évocation a su réveiller chez les descendants des hommes d’équipage quelques souvenirs. Nous vous proposons de découvrir l’histoire de ce chalutier et de ces 53 hommes au fil de la montée de la sente. L’ascension sera ponctuée de plusieurs arrêts pendant lesquels nous relaterons l’histoire de cette tragédie et citerons les noms des 53 hommes d’équipage.

Fécamp tombe aux mains de l’armée allemande le 11 juin 1940. Cette période de troubles verra, entre autres, la destruction de 2 navires : la Tanche le 19 juin, au large de Lorient, sur lequel étaient embarqués plus d’une centaine de réfugiés et 32 hommes d’équipage ; et le chalutier à vapeur Terre-Neuve, réquisitionné par la Marine Nationale, qui sera torpillé le 6 juillet 1940 par l’aviation anglaise à Mers-el-Kébir, et dont le mat est aujourd’hui planté dans le cimetière.

Les jours qui suivent la prise de la ville voient, progressivement, le retour de quelques locaux partis se réfugier dans les campagnes avoisinantes. La population est soumise aux règles de l’occupant : la possession d’armes, le pillage, les actes de sabotage, toute relation ou conversation avec des autorités civiles ou militaires au-delà de la ligne de front, sont strictement interdits sous peine de mort. Le taux officiel de la monnaie change : 1 Mark = 20 Francs. Le couvre-feu est instauré de 20h à 5h, les lumières doivent être camouflées et toutes les horloges doivent être mises à l’heure allemande. Les écoles, les villas, les hôtels et les grandes propriétés sont réquisitionnés. Dans un premier temps la pêche côtière est autorisée dans une bande de 4.000 m. de la côte, de jour uniquement. Pour les chalutiers se trouvant en Atlantique Nord en juin 1940, la situation est particulière. C’est le cas du Simon Duhamel II qui devra, comme ses collègues, rester à Saint-Pierre jusqu’à nouvel ordre.

Celui-ci arrivera en décembre 1940, où il sera demandé au Simon Duhamel II de rallier Casablanca. Nous n’avons pas d’éléments sur l’activité du navire durant l’année 1941. Seuls quelques précieux clichés pris par l’océanographe Anita Conti, datés de 1941, nous permettent de savoir que le bateau s’adonnait à la pêche.

En octobre 1941, le Simon Duhamel désarme dans un port inconnu et reste très certainement bloqué à Port-De-Bouc, près de Marseille, jusqu’au 10 Avril 1942 où il réarme pour se rendre en Mauritanie, se livrer à la pêche et au salage de poissons jusqu’alors inconnus : cernier, cherne, courbine, denté, pagre… afin de palier à l’absence de morue.

Afin d’avoir une idée de l’importance de l’activité de la pêche à Fécamp, et l’impact de la guerre sur celle-ci, voici quelques chiffres : au 3 septembre 1939, Fécamp compte 20 morutiers et 15 drifters armés pour la pêche au hareng et au maquereau. Seule la moitié de ces effectifs retrouvera son port d’attache, à savoir 9 morutiers et 8 drifters. Tous auront joué un rôle pendant le conflit : tantôt réquisitionnés par les Allemands, tantôt par les Britanniques, ou encore pour continuer à pêcher et nourrir le pays.

Présentation du Simon Duhamel II

Devant les grilles du lycée maritime

Le Simon Duhamel II appartient à la maison d’armement Les Pêcheries de Fécamp dirigée par Joseph Duhamel, à l’époque l’une des plus grandes maisons d’armement de Fécamp. Il est construit en 1930 à Aberdeen en Écosse, dans les chantiers Hall, Russell & Co, et est le 3ème d’une série de grands chalutiers commandés par la compagnie. Le prototype de cette série est appelé Sénateur Duhamel, construit en 1927, le second, Joseph Duhamel, construit en 1929. Le coût de construction d’un seul de ces chalutiers représente plus du double du Bois Rosé, commandé en 1923, preuve de la confiance des armateurs dans la Grande Pêche à cette époque.

A l’instar de ses frères, Simon-Duhamel II est un chalutier vapeur qui mesure quasiment 59 mètres et peut embarquer 43 hommes d’équipage. Il est bien-sûr destiné à la pêche à la morue.

Lorsque la guerre éclate, la compagnie Les Pêcheries de Fécamp arme cinq chalutiers morutiers (Joseph Duhamel, Sénateur Duhamel, Simon Duhamel II, Vikings, Cap Fagnet) et un qui est en construction (Bois Rosé II), qui arrivera à Fécamp en 1940. Il s’agit, à l’époque, de l’une des plus grandes compagnies d’armement de pêche à la morue, avec la Compagnie Générale de Grande Pêche. Ses chalutiers sont à vapeur ou à moteur, la plupart récents et utilisant les techniques les plus modernes. L’activité est alors florissante sur le port et dans la ville. Auguste Martin est alors capitaine du Simon Duhamel II, après avoir officié sur le Bois Rosé et le Sénateur Duhamel.

Dans un article publié en janvier 2023 dans le Progrès de Fécamp, Nicole Drouet, la fille d’Auguste Martin, âgée de 9 ans à l’époque du naufrage, témoigne : « Mon père était l’aîné d’une fratrie de seize enfants. Il a commencé comme mousse tout en voulant avancer dans la vie. Pour passer son brevet de capitaine, il fallait qu’il aille à Paris. Le maire de Fécamp lui avait prêté de l’argent pour s’y rendre. A son premier voyage, mon père avait prévu de le rembourser. Le maire a refusé : c’était sur ses deniers personnels. »

Madame Drouet avait déjà perdu sa mère au début de la guerre puis sa grand-mère à la suite d’un bombardement survenu de nuit. Nicole aurait d’ailleurs dû se trouver chez elle cette nuit-là, mais elle avait refusé d’y aller. C’est ce qui lui a sauvé la vie. Autre étrange prémonition : elle se souvient que dans la nuit du 2 au 3 avril 1943, elle s’est mise à crier : « le bateau coule ! le bateau coule ! ». Elle vivra toute sa vie avec ce douloureux souvenir, restant persuadée que son père n’est pas disparu immédiatement et que ses dernières pensées lui étaient adressées. Triste ironie du sort, Madame Drouet nous a quitté le 5 février dernier alors qu’elle assistait à la célébration de la Saint Pierre des marins de Fécamp. Cet hommage lui est aussi dédié.

  • MARTIN Auguste, 45 ans, capitaine, Fécamp
  • DELAHAYE Théodore, 33 ans, premier lieutenant, Elétot
  • GOUBERT Elie, 47 ans, chef saleur, Yport
  • DELAPORTE André, 22 ans, cuisinier, Saint-Valéry-en-Caux
  • LEVASSEUR Hubert, 32 ans, aide-ramendeur, Fécamp
  • SAILLOT Edouard, 42 ans, matelot, Fécamp
  • SAVALLE Jean, 28 ans, matelot léger, Fécamp
A gauche, le capitaine Auguste Martin

Le dernier voyage du Simon Duhamel II

Rues Commandant Rocquigny/Léon Martot

Le 10 avril 1942, le Simon Duhamel II commence donc sa première campagne de pêche sur les côtes mauritaniennes. Le 28 octobre 1942, il quitte pour la dernière fois Port-de-bouc et se retrouve pris en plein débarquement anglo-américain en Afrique du Nord, à partir du 8 Novembre 1942. Il échappe sans dommage à la zone de conflits, gagne Casablanca puis les zones de pêche, où la campagne durera jusqu’en mars 1943.

Au cours de celle-ci, le ravitaillement en charbon se fait à Dakar. Malheureusement celui-ci est de très mauvaise qualité. Sa campagne terminée, le chalutier quitte Dakar le 20 mars 1943. La Méditerranée étant devenu une zone de conflits extrêmement sensible, les navires évoluent en convoi, escortés par un torpilleur anglais. Le 27 mars, le convoi atteint Casablanca. Le 29 mars, ils prennent la direction de Gibraltar qu’ils atteignent le 30, où le Simon-Duhamel II obtient 30 tonnes de charbon de Cardiff de bonne qualité. Le 1er avril, un nouveau convoi se forme. Composé de 18 navires marchands et 9 escorteurs, il est très long à se former, et devra augmenter sa vitesse afin de rattraper le temps perdu. Malheureusement, des ennuis de machine très probablement liés à la mauvaise qualité du charbon vont rapidement obliger le chalutier à ralentir et décrocher ainsi du convoi. Ce dernier voyage, Eugène Recher, capitaine du Cap-Fagnet, le relatera plus tard : « la période de pêche dura environ 3 mois. Le 20 mars Le Simon Duhamel laissait Dakar, avec un convoi pour Casablanca. Le Cap Fagnet, qui chargé, attendait à Port Étienne (en Mauritanie), pris le convoi au passage le 21 mars. Ce convoi, heureusement, n’était pas trop rapide, car les deux chalutiers dont la coque était couverte de mollusques diminuant la vitesse de plus de deux nœuds, n’auraient pu suivre le convoi. Le 27 mars au soir, nous entrions à Casablanca que les deux chalutiers laissaient le 29 pour Gibraltar en compagnie du Joséphine Leborgne et du Marie-Louise Leborgne. Un torpilleur anglais assurait l’escorte. Le convoi arrivait à Gibraltar le 30 mars à 13 heures. Les deux chalutiers purent obtenir, à Gibraltar, chacun 30 tonnes de bon charbon de Cardiff. Ce fait est important car il va sauver la vie d’un des deux chalutiers. Le 1er avril, un peu avant l’aube, sortaient de Gibraltar un convoi de dix-huit bateaux marchands et 9 escorteurs. Le convoi fut très long à se former, certains bateaux, peu habitués à cette manœuvre, trouvant difficilement leur place. Ce retard à la formation devait décider du sort du Simon Duhamel. Le convoi devait filer 8 nœuds, mais le temps perdu à la formation obligea le convoi à augmenter la vitesse. Au début, le Simon Duhamel réussit à tenir sa place qui se trouvait au milieu du convoi, mais bientôt, nous le vîmes glisser vers l’arrière du convoi. La distance s’accrut, et le soir, avant la tombée de la nuit, il n’était plus qu’un point à l’horizon. Nous ne devions jamais le revoir. »

Portrait d’André Maraine

Grâce à un document inédit, nous pouvons nous rendre compte des dangers qui menaçaient l’équipage. Il s’agit de la lettre que le second lieutenant de bord, André Maraine, adresse à sa femme en janvier 1943, soit un peu plus de 2 mois avant le drame. Cette lettre est un véritable testament et livre un témoignage de premier ordre. On y lit l’inquiétude, la peur, la résignation du marin :

« Nous sommes exposés à bien des choses, tu comprends chérie. Tu sais, ce voyage-là n’est pas comme l’autre car, depuis notre départ, on en a vu de toutes sortes. Si nous sommes encore vivants jusque-là, le bon dieu nous a fait une bonne grâce. Nous avons été pris entre feux. Les bateaux canonnent et torpillent. Nous en avons sauvé 11 de notre patrouilleur et 60 d’un cargo, et, tu me connais, j’ai fait mon devoir. Enfin tout cela est bien long à dire. » « La pêche n’est pas bien forte, mais, tu sais chérie, cela ne m’intéresse pas. Je voudrais voir tout cela fini car, où nous sommes en ce moment, il y a à faire attention à nous, un malheur peut nous arriver d’un moment à l’autre. Un de nous a été torpillé, alors depuis ça, on ne vit pas tranquille. »

  • MARAINE André, 35 ans, second lieutenant, Fécamp
  • RIQUE Julien, 28 ans, saleur, Fécamp
  • LEMARCHAND Rémy, 38 ans, trancheur, Elétot
  • RIVET Roger, 27 ans, boulanger, Fécamp
  • BACHELAY Pierre, 23 ans, trancheur, Fécamp
  • PIMONT René, 29 ans, matelot, Yport
  • DEMARE Paul, 19 ans, matelot léger, Fécamp
  • JOUANJEAN Rolland, chef mécanicien, Plouézec (22)
  • SAVALLE Pierre, 33 ans, matelot, Yport
André Maraine

Le naufrage

Avenue des peupliers

Quelques heures après avoir décroché du convoi, le Simon Duhamel II est torpillé par un navire allemand près de l’île d’Alboran (voir carte). On a longtemps pensé que c’était l’œuvre d’un navire italien, faisant apparaître dans certaines familles de victime un ressentiment envers cette population. Nous n’avons su qu’en 1990, grâce à un membre de l’association de jumelage Fécamp- Rheinfelden, Axel Sahner, qu’il s’agissait finalement d’un sous-marin allemand, le U755. Il sera bombardé le 28 mai de la même année par l’aviation britannique au Nord-Est de l’île de Majorque.

Le navire coule rapidement faisant 52 victimes et ne laissant qu’un seul survivant, Henri Olingue, 19 ans demeurant à Yport et navigant sur le Joseph Duhamel II avec son frère, Raymond. Dans un article du Paris Normandie Dimanche dédié au Simon Duhamel II, paru en 1972, Henri Olingue témoigne :

« Pour plus de sûreté, moi-même, mon frère et quelques copains, on s’est tout de même installés pour passer la nuit à la belle étoile ; derrière le dôme, sous l’hélice de rechange ; s’il y a un pépin, on verra plus clair et plus vite ce qui se passe. Je n’ai rien vu venir ; rien entendu avant la formidable explosion. » Henri Olingue est projeté en l’air, retombe dans l’eau et s’y enfonce. « si je ne me débarrasse pas de mes effets, de mon ciré et de mes bottes, je suis foutu. ». Quand il revient à la surface, il n’y a plus de chalutier ; « rien qu’un grand bruit de succion. ». Il n’y a plus rien, que du noir, pas de camarade, pas de cris, que le noir et le silence. « la première chose que j’aperçus, oh longtemps après, c’était un baril vide qui était revenu en surface. Un baril dans l’eau, ça roule… mais c’était ma seule chance de vie, à moi, l’unique survivant. ». Au petit jour, il aperçoit au loin une grosse planche et beaucoup plus loin deux autres épaves. Ce sont 2 radeaux que l’équipage avait confectionnés quelques jours auparavant. Grâce à la planche, Henri Olingue les atteint. « Ils sont vides, désespérément vides. Sur l’un d’eux, toutefois, un rat, qui lui aussi, miraculeusement, s’était échappé de la coque éventrée. ».

Henri Olingue
Article du Paris-Normandie Dimanche, 1972

Une attente interminable commence alors. Le deuxième jour, l’un des flotteurs crève et le radeau s’incline. Ne sachant combien de temps il pourra tenir, Henri, affamé, assoiffé commence à désespérer. Lorsque la nuit tombe, il aperçoit 3 points noirs sur l’horizon. « Il faut qu’ils me voient ! je fis une boule de corde et la fis tournoyer au-dessus de ma tête. Je vois encore la coque noire de l’escorteur foncer droit sur moi. Un numéro : 556 ; un drapeau : celui de l’Angleterre ; J’étais sauvé ! Les gars du 556 ont été formidables ! Ils se sont privés pour m’habiller, se sont cotisé pour me donner un pécule en me débarquant à Mers-El-Kébir. » Si Henri Olingue est sauvé, il ne rentre pas à Fécamp pour autant. Mobilisé par les Français Libres, il sera le premier marin français à débarquer à Naples, participe à la bataille de Monte-Cassino et au débarquement de Provence. Ironie du sort, il s’embarque sur la Trombe qui sera torpillé à nouveau, et s’en sortira encore ! Véritable Trompe-la-mort, sa dernière péripétie aura lieu en 1946, lorsqu’avec le capitaine Feuilloley, il part récupérer un navire allemand, attribué à Fécamp au titre des dommages de guerre. Il s’agit du futur Cap-Nord. « En route, nous vîmes une mine magnétique droit devant ; elle longea et frôla toute la coque pour exploser… dans le sillage. Cap-Nord était solide : il se piqua presque debout sur son étrave ; mais il reprit le flot. »

  • THIEULIN Marcel, 36 ans, saleur, Saint-Léonard
  • MARTIN André, 30 ans, trancheur, Saint-Pierre-en-Port
  • COLLOS Joseph, 33 ans, trancheur, Fécamp
  • DRELANGUE Paul, 31 ans, matelot, Fécamp
  • LEFORT Maurice, 38 ans, matelot, Fécamp
  • LÉCUYER Auguste, 28 ans, ramendeur, Fécamp
  • LE SAUX Émile, troisième mécanicien, Plouézec
  • ROBERT Paul, 19 ans, matelot léger, Yport
  • LEHOT Prosper, 19 ans, matelot léger, Saint-Valéry en Caux
  • LE GRAND Auguste, chauffeur, Pleumeur-Bodou (22)
Auguste Lécuyer

La nouvelle aux familles, une déflagration tragique

Première intersection voie gallo-romaine, maison bleue

Nous ne savons pas exactement à quel moment la rumeur à commencer à courir concernant le naufrage, à Fécamp. Il faut se replacer dans le contexte de la seconde guerre mondiale : les échanges sont quasi-inexistants entre les marins et leur famille, il y a un manque d’informations, un silence volontaire ou non mais aussi une certaine propagande. L’armée allemande peut difficilement laisser passer la nouvelle qu’un bateau de pêche (donc non militaire) a été torpillé par un de ses sous-marins. Les informations circulent très mal et sont souvent erronées. Par ailleurs, il y a souvent des confusions entre les navires.

Dans sa lettre à sa femme datée de janvier 1943, André Maraine décrit bien cette situation étrange et anxiogène où les nouvelles ne circulent plus : « Si j’ai la chance de vous revoir mes chéries, ce sera pour un moment que je resterais avec vous. Si je suis parti c’est de bon cœur, pour vous, pour que vous puissiez vivre, pour vous rendre heureuses, que vous ne manquiez de rien. En ce moment-ci, comment êtes-vous ? allez-vous bien ? avez-vous eu des nouvelles de nous par le bureau ? est-ce que vous recevez toujours nos mois ? de tout cela nous n’en savons rien, comme vous de nous, vous n’en savez rien. Tout cela est bien dur. »

Nicole Drouet, la fille du capitaine, relate (article paru dans Le Progrès de Fécamp en janvier 2023) : Après le torpillage d’avril 1943, les familles des marins viennent sonner à la porte de la belle-mère de la petite Nicole « Vous la femme du capitaine, vous devez avoir des nouvelles » mais les informations ne filtrent pas en ces temps de guerre. « On savait que le bateau avait été torpillé, mais on ne savait pas comment. »

En consultant le répertoire détaillé des Archives Nationales, il est bien mentionné que l’information transmise à l’époque recèle une confusion. En effet, on mentionne alors le Sénateur-Duhamel, alors que celui-ci a été réquisitionné dès décembre 1940 par la Marine britannique et perdu par collision sur les côtes de Caroline du nord en mai 1942 sans équipage français. (Archives Nationales, DISPARITIONS EN MER, ACCIDENTS, CONDITIONS SANITAIRES, Répertoire numérique détaillé du versement 20120318)

De son côté, la maison d’armement Les Pêcheries de Fécamp n’est, officiellement, pas au courant du naufrage de son navire. En consultant les procès-verbaux des assemblées générales et des conseils d’administration de l’entreprise de l’année 1943 et 1944, nous pouvons nous rendre compte de son incertitude quant au sort des chalutiers en mer, en particulier le Cap Fagnet et le Simon Duhamel II.

Ainsi, lit-on dans le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration du 25 Juin 1943 : « Du Cap Fagnet et du Simon Duhamel, aucune nouvelle depuis Novembre 1942, mais suivant les dires entendus, ces chalutiers auraient repris la pêche en Mauritanie, et les pêches livrées en un port d’Algérie. Il y a lieu cependant d’être inquiet sur le sort du Simon Duhamel dont l’équipage n’a jamais donné de nouvelles par Genève depuis plusieurs mois. »

Dans le procès-verbal de l’Assemblée Générale du 26 Juin 1943 : « […] En dernière analyse, notre plus récent chalutier qui était désarma en un port du littoral français de Méditerranée, n’a pas échappé à la réquisition par la Marine Allemande. Son sort demeure menacé en raison des risques auxquels il est exposé.

Il appert de cette situation que, présentement, notre maison a perdu le contrôle de chacun de ces six chalutiers sans qu’il soit possible de discerner ou prévoir dans quelle mesure sera constituée notre flotte au lendemain des hostilités.

Cette situation est aussi pénible qu’angoissante ; la guerre est pour nos entreprises un lourd tribut mais la confiance doit demeurer en nos âmes car l’essence de notre industrie n’est-elle pas le risque ? Or, tout n’est pas perdu définitivement. Dans le domaine de nos espoirs en l’après-guerre, se présente la récupération possible de certaines unités, notamment les chalutiers saisis ou placés momentanément en dehors de notre contrôle, tels ceux qui sont situés en Afrique Occidentale Française. »

Presqu’un an après le naufrage, voici ce qu’on peut lire dans le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration du 19 février 1944 :

  • « Cap-Fagnet ». Sans nouvelles officielles de ce chalutier depuis novembre 1942 – à l’exception des marins qui par la Croix-Rouge adressent de Dakar à leurs familles des messages exclusivement personnels ; les plus récents sont de novembre dernier.
  • « Simon Duhamel » – Le silence angoissant se continue sur ce chalutier considéré perdu. Suivant une note du Département de la Marine publiée en février, « Simon Duhamel » aurait été torpillé mais la direction des Pêches Maritimes déclare ne rien savoir sur le sort de l’équipage. »

Enfin, dans le Procès-verbal du Conseil d’Administration du 16 juin 1944, on peut lire : « M.Duhamel donne connaissance au conseil de la lettre adressée par l’administration centrale à l’administrateur de l’Inscription Maritime de Fécamp informant que 21 membre de l’équipage du « Simon Duhamel II » ont péri dans le sinistre de ce chalutier survenu le 2 Avril 1943. Cette lettre précise que l’information émane de la Croix-Rouge Internationale. Il y a lieu d’être surpris que la liste ne comprenne pas les 30 autres marins infortunés dont on est sans nouvelle depuis avril 1943. »

La famille Recher touchée …

A bord du navire, se trouvait également un membre d’une famille de marins bien connue à Fécamp : René Recher. C’est un frère du capitaine Jean Recher, auteur célèbre du Grand métier. Il a 33 ans, est second à bord du Joseph-Duhamel II et vit à Yport. Ces deux frères, Jean et Eugène, relatent comment ils ont appris la nouvelle, de façon fortuite et d’autant plus violente :

« Le 3 Avril, à 17 h, le convoi arrivait à Alger. La seule alerte que nous avions eue avait eu lieu la veille. Un avion isolé avait attaqué le convoi, mais devant la riposte des bateaux de guerre et des navires marchands, il avait bien vite évacué les lieux. Quelques jours après notre arrivée à Alger, pendant le déjeuner, un amiral vint au carré du Cap Fagnet demander le capitaine. La mauvaise nouvelle arrivait : un jeune marin du Simon Duhamel avait été recueilli sur un radeau, à six mille à l’est d’Alboran (petite île de Méditerranée) par une vedette de patrouille anglaise. C’était le seul rescapé. 52 hommes sur 53 avaient été engloutis avec le navire. »
Eugène Recher

De son côté, Jean Recher revient sur ce douloureux épisode de sa vie dans Le Grand métier, page 245.

Si les rumeurs d’un naufrage se répandent rapidement à Fécamp, et dans la communauté des pêcheurs fécampois présents en Afrique du Nord, l’annonce officielle tardera à arriver. Il faut attendre le 3 mai 1944 pour que le comité international de la Croix Rouge Française, agence centrale des prisonniers de guerre, n’envoie un premier courrier officiel à l’épouse d’André Maraine, second à bord. Un second courrier émanant du comité de Fécamp de la Croix Rouge Française sera envoyé le 14 décembre de la même année.

Lorsqu’on parcourt la longue liste des victimes, il apparaît qu’un marin n’aurait pas dû se trouver à bord du Simon-Duhamel II. En effet, Maurice David était marin à bord du Cap Fagnet qui faisait partie du même convoi que le Simon-Duhamel II, il embarqua malheureusement à bord de ce dernier dans des conditions qui nous sont inconnues.

  • RECHER René, 33 ans, second capitaine, Yport
  • LECOMTE René, 18 ans, novice, Fécamp
  • DAVID Maurice, 38 ans, trancheur, Saint-Pierre-en-Port
  • LE COULS Ange, 32 ans, chauffeur, Perros-Guirrec
  • RECHER Jérôme, 39 ans, trancheur, Fécamp
  • CACHELEUX Henri, 20 ans, matelot, Fécamp
  • ROBERT Alexandre, 31 ans, matelot, Saint-Pierre en Port
  • NEDELEC Alexis, 28 ans, chauffeur, Becleguer-en-Servel (22)
  • DELAHAYE André, 42 ans, matelot, Elétot
  • COUTURIER René, 17 ans, novice, Sassetot-le-Mauconduit
René Recher

Engagés volontaires ou résistants malgré eux ?

Intersection partie haute voie gallo-romaine

Le Simon-Duhamel II était armé pour la pêche. Il n’avait pas été réquisitionné et ne comptait à son bord que des civils. Il est difficile de définir la motivation de ces marins à continuer la pêche dans de telles conditions, continuer leur métier, subvenir à leur famille, nourrir le pays, fuir ou s’opposer à l’ennemi. Ils n’auront jamais le statut de soldat, ni de combattants, pourtant ils ont continué à pêcher sous la menace et les aléas de la guerre. De nombreux marins sont inscrits sur le monument aux Morts de leur village d’origine et la mention Mort pour la France leur sera accordée.

Dans la lettre d’André Maraine, nous pouvons lire une forme d’engagement :

« Prends bien courage ainsi que notre grande fille qui doit se demander où je suis. Tu dois m’en vouloir chérie d’être reparti. Si j’étais resté, qu’auraient-ils fait de moi ? un boche ? non ! j’aime encore mieux mon sort. Prenons tous courage Yvonne chérie. Mon amour pour toi est toujours le même, ainsi que pour ma grande fille. Ne vous faites pas trop de chagrin, consolez-vous toutes deux. Marie-Thérèse grandit maintenant et comprendra. Si le bon dieu me laisse la vie et que je peux vous revoir, je vous jure sur mon amour que j’ai pour vous de ne plus repartir. »

Un résistant dans l’équipage …

Gustave Duparc avait quitté la France sur le Joseph Duhamel pour une campagne de pêche à la morue à Terre-Neuve le 23 février 1940. Il subit le même traitement que la flotte et leur équipage, bloqués à Saint-Pierre après cinq mois et demi d’attente. C’est après avoir reçu l’ordre de rejoindre Casablanca que le Joseph-Duhamel II est arraisonné par le croiseur auxiliaire britannique Maron qui lui ordonne de rejoindre Gibraltar où il mouille le 29 décembre. Les équipages sont placés sous surveillance et rapatriés le 17 janvier vers Marseille. Vingt-deux membres de l’équipage refusent et s’engagent dans la Royal Navy et sur les bâtiments de la France Libre.

Gustave Duparc s’engage dans les Forces Navales Françaises Libres, il accepte d’armer un bateau de liaison avec la future Résistance Française accompagné de Alain Rolland et Albert Pontillon, autres fécampois. Ensemble, ils réalisent des liaisons maritimes, lesquelles impliquent un accord pris entre un réseau et son correspondant à Londres pour un rendez- vous avec un navire britannique, un sous-marin ou un rendez-vous sur une plage française. Gustave Duparc appartenait au Réseau Johnny, réseau créé par des bretons chargé de recueillir des informations portuaires et maritimes sur les installations et mouvements de la flotte allemande de Bordeaux à Rouen.

En 1942, victime de trahisons, le réseau se décima petit à petit, suite aux nombreuses arrestations, exécutions et déportations.

  • DUPARC Gustave, 20 ans, matelot, Ancretteville-sur-Mer
  • LE DU Emile, novice, Kermeur-en-Plouezec
  • BEUZEBOSC Lucien, novice, Nanterre (92)
  • JOUETTE Marcel, 37 ans, trancheur, Saint-Pierre-en-Port
  • THOMAS Joseph, chauffeur, Port-Loas-en-Plouézec (22)
  • DODARD Charles, 36 ans, mécanicien, Fécamp

Aujourd’hui que reste-t-il ?

Haut de la sente

Nous avons pu constater lors de la préparation de cet hommage, que les archives et informations concernant le naufrage du Simon-Duhamel II étaient encore lacunaires avec parfois des incohérences. Comme évoqué plus tôt, cela peut s’expliquer par le contexte de la guerre ; ce naufrage intervient dans un contexte très difficile marqué par d’autres naufrages, par le manque d’informations et la désinformation. Le sort du Simon Duhamel s’est finalement retrouvé « noyé » dans l’ensemble des tragédies qui ont touché la ville pendant cette période sombre. Heureusement, nous avons pu compter sur les témoignages de proches et de descendants de ces 53 hommes d’équipage pour étayer ce discours et aller au-delà de la simple énumération des victimes. En découvrant leur parcours, leurs lettres, leur portrait ou encore leurs engagements, ils nous deviennent presque familiers.

Nous tenons à remercier chaleureusement les personnes, proches et descendants, qui ont accepté de témoigner, fournir des documents ou encore des portraits :

  • Madame Olingue, veuve de Henri Olingue
  • François Olingue, neveu de Henri et Raymond Olingue
  • Patrice Hodierne et son épouse, petit-fils d’André Maraine
  • Lyliane Grancher nièce de Marceau Decaux
  • Marie-Christine Bachelay, nièce de Pierre Bachelay
  • Isabelle Lettéron, petite-fille de René Recher
  • Patrick Recher, petit-fils de Jérôme Recher
  • Serge Goubert, petit-neveu d’Elie Goubert
  • Chantal Cita Pour Gustave Duparc

Et toutes les personnes qui ont apporté leur soutien et relayé notre appel aux témoignages.

En énumérant la liste des victimes, on ne peut être que touché par la présence à bord de fratries. On ne peut omettre à travers tous les drames de la mer civils et militaires, les familles brisées, parents, veuves et orphelins. Au sein du même équipage plusieurs frères, un père et un fils pouvaient figurer à bord du bateau éprouvé, mais plus encore, c’est sur le destin de familles de marins que le sort s’acharnait parfois.

À bord du Simon Duhamel II, la disparition du jeune Marceau Decaux précédera un autre drame familial. Le 21 février 1951, ses frères Alfred, René et Gabriel disparaîtront ensemble pendant le naufrage du Duc de Normandie au large des côtes belges.

Ce drame posera la question du bien-fondé de membres d’une même famille au sein de l’équipage mais qui ne sera pas vraiment concluante. C’est l’occasion, s’il en était besoin, de rappeler une nouvelle fois la dangerosité de ce métier et les drames qui ont émaillé la communauté maritime fécampoise et toute sa population pendant plusieurs siècles. Nous terminons donc cet hommage par la présentation de ces fratries :

  • HOMONT Léon, 21 ans, matelot et HOMONT Roger, 18 ans, novice, Etretat
  • OLINGUE Henri, 19 ans, matelot léger et OLINGUE Raymond, 17 ans, novice, Yport
  • ROBERT André, 23 ans, matelot et ROBERT Marcel, 34 ans, Ancretteville sur Mer
  • TREMEL Eugène, 34 ans, chauffeur et TREMEL Yves, 33 ans, Ploumanach (22)
  • FRIBOULET Louis, 38 ans, trancheur et FRIBOULET Albert, 28 ans, matelot, Fécamp
  • DECAUX Marceau, 19 ans, matelot léger, Fécamp
Roger et Léon Homont
Le 21 février …

est considéré à Fécamp comme maudit par la population maritime. En effet, c’est la date de plusieurs naufrages :

  • Le Duc de Normandie le 21 février 1951
  • le Jean Gougy, le 21 février 1970
  • le Snekkar Arctic le 21 février 1986

Par ailleurs, l’année 1951 a été particulièrement meurtrière pour le port de Fécamp puisqu’outre le naufrage du Duc de Normandie le 21 février, le Ginette Le Borgne sombrera à son tour le 24 mai.

Arrivée à la Chapelle, devant le mémorial des Terre-Neuvas

  • Hommage de l’association des Terre-Neuvas aux victimes et à Nicole Drouet
  • Citation des 52 victimes du naufrage par Emmanuel York (arrière-petit-fils de Joseph Duhamel, fondateur de l’Armement Duhamel)
  • Chants du Cœur d’hommes d’Yport

Annexes

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