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  3. Actualités du 16ème siècle

C. 1595, Bayonne.

Lettre d’un habitant de Bayonne à monsieur de Melimont à propos de l’activité des navires anglais contre les navires espagnols et prévenant son interlocuteur de l’installation d’une colonie anglaise au nord de la Floride, à Norembega, ce qui, à terme, conduirait à des difficultés pour la pêche à Terre-Neuve.

Bibliothèque nationale de France, Fonds français 15576, Recueil de lettres, pour la plupart originales et autres pièces relatives à l’histoire de France principalement sous les règnes de Charles IX, Henri III, Henri IV et Louis XIII (1477-1657), XXXVII, Règne de Henri IV (1595-1599)., fol. 24.

L’on a imprimé les raisons pour lesquelles la Royne d’Angleterre prend la protection des Pays-Bas que je envoiray si tost que je auray faict trouver en Français.

Les deputez des Pays-Bas qui sont tousioursicy disent que le roy leur a envoyé faire des grandes offres pour les empescher de recevoir les Anglois en leurs villes.

L’on a point de nouvelles de Drak depuis ceste ville de Bayonne ou aux environs. Il a fait beaucoup de maulx et en a tiré argent.

L’admiral d’Angleterre m’a dict que leurs subiectz avoient depuis peu prins quarante quatre vaisseaulx espagnolz et « de Bray ». Ilz en ont mené beaucoup à Plemutz et a esté aucun fors portugais. Ilz ont quatre cens presonniers que mariniers que aucun dont ilz ne scavent que faire. Et l’en ont mis en ceste ville en des lieux publics ou ilz leur font travailler à tourner des roues à moudre farines, poudres et aucunes choses comme à des chevaulx.

Ilz ont offert au roy du Portugal de luy rendre tous ceulx de sa nation mais non les vaisseaulx ny marchandises.

Le sieur des Raley avoit envoié en mars dernier cinq ou six vaisseaulx en la coste de la Floride ou ung peu au dessus, tirant bien le nord. Il veult establir une colonie d’Anglois près du lieu de Norembega marqué dans la carte générale. Et luy en a, la reyne d’Angleterre, donné lettres le constituant roy de ce pays, la ou aussy Monsieur de Mameissiere a part y avant envoyé deux de ses gens avec sa flotte. Ilz y sont arrivez de bon vent et commencent à y bastir un fort qui sera à l’advenir de très grande importance aux subiectz du roy pour la pesche des Terres Neuves qu’ilz appellent en François ou il va tant de Normans, Bretons et Gascoins qu’ilz en fournissent les costes d’Espaigne jusqu’en Italie à Livorne du poisson prins en ce lieu là. Et m’ont les marchans advertiz qui si les Anglois se peuvent une fois establir là, ils feront un dommage inestimable a la France, ostant aux subiectz du roy ce traffic qui est infini. Sembleroit à propos que l’on fist scavoir en Normandie et en Bretaigne des vieulx pillottes si ledit fort pres dudit lieu de Norembega nuyra audit traffic, car tenez pour certain que les Anglois s’y establjront, estans très fort par mer.

Celluy qui est revenu de ladicte flotte se nomme le chavalier Gremfil qui en mer a trouvé ung navire espaignol retournant des Indes escarté de la trouppe par la tourmente et l’a prins et amene a Plemutz, ou le seigneur de Raley est allé en toute diligence pour l’infini valleur dont est ladicte prinse est estime a vic mil escus. Et scay pour certain que tous fraiz faictz, il en revendra audit Raley pour sa part plus de iic mil escus, sy estant, donne cinquante cinq mil escuz en espèces. Oultre cela, il y a dix huict Espaignolz dessus, fort riches, qui estoient les officiers deeux et aucun, ils les voisinent, qui revenoient au bout de leurs trois ans.

Monsieur.

Monsieur de Melimont.

Traduction en français moderne

On a imprimé les raisons pour lesquelles la Reine d’Angleterre prend la protection des Pays-Bas, que j’enverrai dès que je les aurai fait traduire en français.

Les députés des Pays-Bas, qui sont toujours ici, disent que le roi leur a fait de grandes offres pour les empêcher de recevoir les Anglais dans leurs villes.

On n’a pas de nouvelles de Drake depuis cette ville de Bayonne ou ses environs. Il a causé beaucoup de dégâts et en a retiré de l’argent.

L’amiral d’Angleterre m’a dit que leurs sujets avaient récemment capturé quarante-quatre vaisseaux espagnols et portugais. Ils en ont conduit beaucoup à Plymouth et certains d’entre eux appartenaient au Portugal. Ils ont pris environ quatre cents prisonniers, qu’ils soient marins ou autres, dont ils ne savent que faire. Ils en ont installé certains dans cette ville, dans des lieux publics, où ils les font travailler à faire tourner des moulins pour produire de la farine, de la poudre et d’autres choses, comme s’ils étaient des chevaux.

Ils ont proposé au roi du Portugal de lui rendre tous les membres de sa nation, mais non les vaisseaux ni les marchandises.

Le sieur Raleigh avait envoyé, en mars dernier, cinq ou six vaisseaux vers la côte de Floride, ou un peu plus au nord. Il souhaite y établir une colonie anglaise près de l’endroit nommé Norumbega, indiqué sur la carte générale. La reine d’Angleterre lui a accordé des lettres le nommant roi de ce pays. Monsieur de Mameissière avait également envoyé deux de ses hommes avec sa flotte dans cette région. Ils y sont arrivés avec un bon vent et ont commencé à construire un fort, qui sera à l’avenir d’une grande importance pour les sujets du roi, notamment pour la pêche des Terres-Neuves (appelée ainsi en français), où se rendent de nombreux Normands, Bretons et Gascons. Ces derniers fournissent les côtes d’Espagne jusqu’en Italie, à Livourne, avec le poisson pêché dans cette région. Les marchands m’ont averti que si les Anglais parvenaient à s’y établir, cela causerait un dommage inestimable à la France, privant les sujets du roi d’un commerce très lucratif.
Il semblerait judicieux d’informer en Normandie et en Bretagne les vieux pilotes pour savoir si ce fort près de Norumbega nuirait à ce commerce, car soyez sûr que les Anglais s’y établiront, étant très puissants en mer.

Celui qui est revenu de cette flotte se nomme le chevalier Grenville. En mer, il a intercepté un navire espagnol revenant des Indes, séparé de son convoi par une tempête, et l’a capturé. Il l’a ramené à Plymouth, où le seigneur Raleigh s’est rendu en toute hâte pour évaluer la valeur infinie de cette prise, estimée à vingt mille écus. Et je sais avec certitude qu’après déduction des frais, Raleigh en obtiendra pour sa part plus de deux cents mille écus, ayant reçu cinquante-cinq mille écus en espèces. De plus, il y avait dix-huit Espagnols à bord, très riches, qui étaient des officiers et autres responsables, revenant de trois ans de service.

Monsieur,

Monsieur de Melimont.